La Raze



« Un jardin, c’était le rêve de mon père. »

Je suis née à Bordeaux, rue des Douves, aux Capucins, en 1920. Nous sommes venus à Bègles en 1927 car mes parents, tous les deux originaires d’Orthez, dans le Béarn, voulaient un jardin. Ma mère faisait des ménages et mon père était cheminot. Un jardin, c’était le rêve de mon père. Bègles autrefois, c’était l’été les maraîchers et l’hiver la morue : il n’y avait pas toutes les maisons qu’il y a maintenant, les jardins étaient partout. Partout où l’on voit de grands immeubles, il y avait autrefois des jardins de maraîchers et chaque échoppe avait son jardin.
En 1914, mes parents ont acheté à une vente aux enchères pour douze mille francs or, au 147 et 149 cours Victor Hugo à Bègles, un terrain avec deux maisons et un hangar occupé par un cocher qui y mettait ses chevaux. Comme il y a eu un procès avec ce cocher, qui ne voulait pas quitter sa location, nous n’avons pu nous y installer qu’en 1927. J’avais sept ans. Nous occupions une maison – c’était une ancienne maison de maître, il y avait une cheminée dans chaque pièce – mes grands-parents, l’autre maison, et plus tard mon père a construit une troisième maison à l’emplacement du hangar du cocher, où se sont installés mon oncle et ma tante, puis mon mari et moi après notre mariage en 1942. Mon père l’avait construite lui-même en moulant de l’escarbille.
Nous avions mille mètres carrés de terrain, un jardin potager et des arbres fruitiers, de vieux poiriers dans le fond du jardin ainsi que des lapins et des pigeons. Cela servait à la consommation familiale et ma mère vendait les surplus aux Capucins tous les jours sauf le dimanche. Elle devait se lever à trois heures du matin et s’y rendait à pied avec ses paniers de légumes, accompagnée de plusieurs autres maraîchères du quartier. C’était de la petite culture : elle partait avec dix paquets de radis, cinq ou six paquets de poireaux tout au plus, pas comme les gros maraîchers du fond de Bègles qui passaient avec leurs charrettes et transportaient les légumes dans de grandes caisses qu’on appelait « bajolles ».
C’est mon père qui a fait installer l’eau courante en 1934. Je m’en souviens car toute la famille était allée au mariage d’une cousine en Béarn, sauf mon père qui était resté à la maison. En notre absence, il avait installé l’eau courante avec un plombier et nous a fait la surprise à notre retour. Nous avions un puits de vingt-deux mètres de profondeur dans le jardin et tirions l’eau d’abord avec un seau, puis avec une pompe. Ce fut un grand changement pour nous d’avoir un robinet dans la cuisine et dans le jardin.
Lorsque je me suis installée avec mon mari dans la maison construite par mon père à l’emplacement de l’ancien hangar du cocher, en 1942, nous avions une salle de bain, ce qui était très rare à l’époque. Nous l’utilisions assez parcimonieusement car ça consommait beaucoup d’eau. On continuait à se laver au gant de toilette.
Pour les ordures, chacun avait son seau ou un bidon et tous les jours, un cheval avec un tombereau de la ville passait pour les ramasser(Simone Malherbe)








Lorsque la guerre éclate, j’ai dix-neuf ans. Mon souvenir le plus marquant, c’est le bombardement de 1940. On y voyait comme en plein jour. Les Allemands visaient l’usine de pétrole située à côté de chez moi, cours Victor Hugo, mais ils l’ont ratée. J’ai vu deux bombes éclater et l’une d’elles tomber à côté de la maison sans éclater. Le lendemain, les Allemands faisaient du porte-à-porte et cherchaient la bombe. Je leur ai montré l’endroit où j’avais vu tomber quelque chose. La terre était retournée  sur un mètre ; ils sont venus avec des appareils, quatre piquets, un ruban, et pendant un mois nous avons dû contourner la zone. Lorsqu’ils ont voulu la faire éclater, il a fallu partir, fermer les contrevents mais laisser les fenêtres ouvertes. Ils l’avaient retournée pour qu’elle éclate vers les jardins. Je leur ai fait remarquer que s’ils pouvaient la tourner, ils pouvaient certainement l’enlever. « Ah non, cinéma. » m’a répondu l’un d’entre eux qui parlait français. Mais finalement, ils l’ont déplacée. (Simone Malherbe) 

« Les bombardements, ce sont de mauvais souvenirs. »

On avait aussi l’usine de pétrole, un peu plus loin sur le cours Victor Hugo. C’est pour ça que j’avais si peur pendant les bombardements. Ma famille restait à la maison, moi je me réfugiais chez les voisins. Ce sont de mauvais souvenirs. (Annie Réglat)


210 Cours Victor Hugo : la raffinerie de Pétrole «Fenailles et Despeaux» devient « La Pétroléenne » vers 1914, puis « Lʼéconomique » en 1929. Aujourdʼhui, la maison du directeur (à gauche) accueille les bureaux de lʼINRAP.







« Notre quartier était très peuplé, très commerçant et très animé. »

Notre quartier était très peuplé, très commerçant et très animé. C’était le quartier de La Raze, au bout du cours Victor Hugo, du côté de la Poste actuelle : de petites échoppes, des jardins à l’arrière des maisons, un quartier ouvrier. La plupart des hommes étaient cheminots. Il y avait encore quelques terrains plantés en vigne. La première chose qu’a faite mon père en arrivant, c’est de planter la vigne, deux rangs de chasselas.
À côté de chez nous, en allant vers la place, il y avait la maison La lune, une maison de passage assez mal famée qui hébergeait de nombreux locataires dans quatre pièces. De l’autre côté, c’était un pré qui allait du cours Victor Hugo jusqu’à la rue Guynemer. La façade de la maison donnait sur la rue Guynemer. Le pré n’était pas cultivé et un épicier, Roumegayre, y avait planté sa cabane avant de s’installer un peu plus loin dans la rue. En face de chez nous, il y avait la quincaillerie Macouillard et le bar Les ombrages, qui existe encore.
Il y a des quartiers de Bègles dans lesquels je sais que les gens installaient leur chaise, le soir sur le trottoir, pour parler ; jamais cours Victor Hugo car il passait toujours un cheval, une charrette. C’était la principale artère commerçante de la ville. Il y avait un magasin ou une boutique presque à chaque porte : trois coiffeurs, cinq épiceries, un marchand de chapeaux, deux quincailleries, trois pharmaciens, quatre ou cinq bars, trois boucheries et trois grandes charcuteries… Je me souviens également d’une graineterie où l’on achetait les graines pour les animaux, du maréchal-ferrant et du réparateur de cycles, tout cela sur cinq cent cinquante mètres. Il n’y a plus rien maintenant. (Simone Malherbe)



« Nous avions une grande cour cimentée avec des platanes centenaires. »

Je suis arrivée à Bègles en 1953, à vingt-six ans, chez l’une de mes tantes, Madame Lafargue, qui tenait le Bar des Pyrénées, devenu Chez Clairette en 1954-1955. C’est ma tante qui a renommé le bar, à cause de mon prénom. Il était situé à proximité de l’école Marcellin Berthelot, 23 rue du maréchal Gallieni, dans le quartier de La Raze. Auparavant, j’habitais à Pau où j’étais bonne chez une autre sœur de ma mère. Ma tante de Bègles m’a demandé de venir l’aider ; elle était fatiguée et souhaitait faire de moi son héritière. Elle vivait avec un chauffeur de taxi avec le fils duquel je me suis mariée plus tard.
J’habitais avec ma tante et son mari. Mon époux était très souvent absent car il travaillait dans la Marine. Nous habitions en rez-de-chaussée, à côté du bar. Il y avait une cuisine, la salle à manger et trois chambres. Nous avions une grande cour cimentée avec des platanes centenaires. J’ai tenu le bar tant qu’il y a eu mon beau-père, puis lorsqu’il est mort en 1969, j’en ai fait un appartement et je l’ai vendu. Ce fut un immense soulagement car nous étions très pris.
Nous étions les seuls commerçants de la rue et tout le monde se connaissait. Pour faire les courses, j’allais cours Victor Hugo, à cinq minutes de chez moi, où j’avais mon épicier, Salvat, mon boucher, Patrick, et mon boulanger, Cartou. Le matelassier de la rue Salengro était l’un de mes clients.
Je sais que rue Savariau, à côté de chez moi, il y avait beaucoup de jardins autrefois, mais lorsque je suis arrivée, en 1953, il n’y en avait quasiment plus. J’ai vu bâtir beaucoup de maisons. (Claire Duprat)

« Nous avions beaucoup d’odeurs à Bègles. »

Près de chez moi, en face de la Poste, il y avait une usine de gras qui sentait très mauvais. C’était une usine qui récupérait tous les déchets des charcutiers et bouchers et les emmenait chez Pasquier. Ensuite, cette usine a été transférée vers Floirac. Quand ils passaient avec leurs fourgons pleins de débris de bouchers, ça prenait bien les narines. Nous avions beaucoup d’odeurs à Bègles. (Claire Duprat)






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