Le Prêche


« Dans la rue Mathurin passait un train qui menait à la Cenpa, la papeterie de   Bègles. »

Je suis né à Bègles, rue Mathurin, dans le quartier du Prêche, en 1930. Dans la rue Mathurin passait un train qui menait à la Cenpa, la papeterie de Bègles. Cette usine dégageait des odeurs bien plus fortes que les sécheries de morues. Bègles, à cette époque-là, c’était des petits villages, des quartiers. Entre eux, il y avait des champs de radis et des sécheries de morues.
Mon père était linotypiste à la Petite Gironde. Il arrivait du Midi, de Lodève dans l’Hérault. Mon grand-père, employé à la Compagnie du Midi dans le sud de la France, avait été envoyé comme beaucoup d’autres sur Bordeaux pour travailler aux chemins de fer. Ma mère travaillait dans les magasins de comestibles à Bordeaux, chez Morin, chez François et chez Bayat.
J’ai vécu au Prêche jusqu’à l’âge de six ou sept ans. Ensuite, mes parents se sont installés quelque temps à Bordeaux, rue des Ayres, où ma mère a pris une gérance d’Aquitaine, la chaîne de magasins de comestibles. Comme ma grand-mère habitait toujours dans le quartier du Prêche, je m’y rendais tous les jeudis ; je prenais le cours d’Alsace-Lorraine à pied, puis la ligne 23 du tramway. À la fin de la guerre, nous sommes revenus habiter à Bègles, 14 impasse Gambetta, puis quand la Cité du Prêche s’est construite, j’y ai loué un appartement avec ma femme. (Louis Delmas)



La rue Mathurin aujourdʼhui. Les rails de chemin de fer qui conduisaient le train à la CENPA sont toujours en place.

« Dans les années cinquante, Bègles était une série de petits villages, de quartiers. Yves Farge n’était encore qu’un jardin. »

Je suis né dans les Landes le 27 mai 1924. Mon père était cheminot garde-barrière, ma mère ouvrière. J’étais l’aîné de six frères et sœurs et j’ai eu la priorité pour faire des études. Après l’école supérieure de Dax, j’ai passé un concours pour entrer aux chemins de fer, puis obtenu un poste de dessinateur industriel en 1946 au bureau d’études de la SNCF, rue Amédée Saint-Germain à Bordeaux. Je vivais dans une chambre à Belcier, chez une propriétaire.
           Je me suis marié dans les Landes en 1947. Ma femme, originaire d’une famille de commerçants des Landes, a obtenu son bac en 1946. Nous nous sommes rencontrés aux Jeunesses étudiantes catholiques. Ses parents lui avaient défendu de me voir et de m’écrire avant l’obtention de son bac. Après notre mariage, elle est venue habiter avec moi à Bordeaux.
            Nous sommes arrivés à Bègles, 21 rue Mazagran, en 1953. C’était la période des Castors. Il y avait trois groupes de Castors, un à Pessac-Alouette, un à Bordeaux-Nord et un à Belcier. Nous n’étions pas Castors, ma femme et moi, mais nous les avons bien connus et ils nous ont beaucoup aidés lorsque nous avons fait construire notre maison à Bègles, pour les travaux de peinture notamment.
            Nous avons acheté le terrain rue Mazagran avec l’aide financière de la famille de ma femme. Le père de mon épouse, qui était un peu fouineur, avait trouvé ce terrain sur Bègles et nous n’avons pas vraiment eu le choix. Nous étions parmi les derniers arrivés sur ce secteur. C’étaient des maisons neuves qui tenaient un peu du miracle. Nos voisins étaient d’un niveau social assez modeste et ont pu devenir propriétaires, comme nous, avec beaucoup d’efforts : notre voisin, Robodière, était un cheminot assez haut placé ; un autre, Desgides, avait construit sa maison lui-même car il était du métier ; Chaussier était cheminot lui aussi ; les Blanchardier ont dû suer bec et ongles pour construire leur maison ; Guillebot travaillait à Bordeaux-Sud. Il y avait aussi les Basse-terre, une famille nombreuse avec très peu de revenus, je ne sais pas comment ils y sont arrivés.Toutes les maisons avaient un jardin assez grand de plus de cinq cents mètres carrés.
            Dans les années cinquante, Bègles était une série de petits villages, de quartiers. Yves Farge n’était encore qu’un jardin. Nous allions faire nos courses rue Léon Paillère, chez le boucher Astruc, à Belcier, à l’épicerie La belle rose, en face de la place où se trouve actuellement la pharmacie Mazière, avant d’arriver au stade Duhourquet. Elle est démolie maintenant. Mon épouse faisait beaucoup d’achats à la mercerie qui était située rue de la République, un établissement populaire avec des propriétaires très sympathiques. Il y avait une autre épicerie, Mailleraille, sur le boulevard, et une autre mercerie, rue Calixte Camelle. Nous n’avons jamais quitté le boulanger de la rue de la République. Il livrait le pain à domicile. Mon épouse allait également faire ses courses en vélo à la barrière de Bègles. On circulait tous en vélo. J’ai toujours fait beaucoup de vélo, jusqu’à ce que j’aie mon accident vasculaire cérébral le 17 août 2010.
            Nous nous sommes beaucoup plu dans le quartier du Prêche. Il y avait une vraie vie collective. L’esprit de solidarité existait encore dans le quartier au moment de notre départ en 2010. Quand la première tour d’Yves Farge a été mise à terre, nous nous sommes retrouvés à quinze pour aller manger chez notre voisine. (André Brettes) 

La maison dʼAndré Brettes, 21 rue Mazagran à Bègles.

André Brettes et son épouse le jour de leur mariage en 1947.


« C’était alors une population mixte à Yves Farge : ouvriers d’usine, ceux de la Cenpa notamment, instituteurs… »

Je suis né en 1929 à Saint-Pey-de-Castets, en Entre-deux-Mers, où j’ai vécu jusqu’à mon installation sur Bordeaux en 1957. Communiste militant, j’ai déménagé à Bègles quelques années avant d’être élu premier adjoint au maire de Bègles en 1971, Cité Yves Farge, bâtiment A.
C’était alors une population mixte à Yves Farge : ouvriers d’usine, ceux de la Cenpa notamment, instituteurs… Plus tard, un plafond d’attribution a été fixé, ce qui a mis progressivement fin à la mixité. Comme ceux dont les revenus dépassaient un certain seuil devaient payer un surloyer, il devenait plus intéressant pour eux d’aller se loger dans les cités de cadres comme la Cité Maurice Thorez. Ce que l’on appelait à l’époque les ILN, les Immeubles à Loyers Normaux.
Beaucoup de gens qui sont partis de Bègles faute de logement après la guerre sont revenus au début des années soixante. C’est Duhourquet qui a lancé les grandes constructions : La Cité Yves Farge, la Cité Maurice Thorez. C’est aussi l’époque où les HLM Midi ont lancé la construction de la Cité du Dorat. La société HLM gérait tout, le terrain était à eux, mais vingt pour cent des logements revenaient à la ville de façon réglementaire. Auparavant, il y avait de gros problèmes de logement sur Bègles. (Renaud Laguillon)



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