Gambetta




Je suis allé à l’école Gambetta, à Bègles, de 1925 à 1934. L’école des filles du quartier se trouvait à Emile Combes. Je me souviens très bien de l’un de mes maîtres, Yves Caps. On devrait donner son nom à une rue car c’était un maître formidable. Il était précurseur et pratiquait la méthode Freinet. Quand nous avions des rédactions, il disait : « Maintenant, rédaction libre ! » Il n’y avait pas de sujet. Chacun racontait ce qu’il voulait. Il avait une autorité naturelle tellement extraordinaire qu’il ne punissait jamais personne. C’était le calme absolu. Tout le monde l’appelait Monsieur Caps alors qu’il était d’usage d’appeler les enseignants par leur nom «Tiens, je viens de croiser Allégret, Gimonteil… », mais on disait : « Je viens de voir Monsieur Caps. » Il avait une boîte à questions où chacun déposait une question, puis on tirait au sort. Ça a été mon second père. On a tous conservé de lui un souvenir ému et pour ses soixante-quinze ans, en 1975, nous avons organisé une fête. J’étais son médecin, j’allais le voir le mercredi à Pessac et je m’étais arrangé pour l’inviter avec cent soixante-douze anciens élèves. Ça a été une joie énorme pour tout le monde. Mes parents n’avaient pas fait d’études et je n’ai jamais été aidé par mes parents.
J’ai eu mon certificat d’études avec la mention très bien. Sur le canton, il y a eu cinq mentions très bien, dont quatre provenaient de la classe de Monsieur Caps, puis je suis entré au collège technique à Talence car les élèves de Bègles continuaient tous à Talence. J’étais en section M, destiné à être soit ingénieur, soit instituteur, mais un de mes oncles, instituteur, a pu convaincre mes parents que je devais aller au lycée Montaigne ; c’est ainsi que j’ai fait de l’espagnol au collège technique de Talence pour avoir quelques bases et réussir le concours d’entrée à Montaigne (grand lycée de Bordeaux). La première et la deuxième année, je n’ai rien fait en maths mais j’étais quand même premier et j’ai eu le prix d’excellence en mathématiques. J’ai eu le bac de maths et le bac de philo en 1938. Nous passions le bac de philo par dilettantisme, la même année. On se prenait des bananes quelquefois.
J’allais en tramway de Bègles à Montaigne, ligne 23. Je le prenais à l’église de Bègles, départ et terminus de la ligne, et je m’arrêtais à côté du lycée.
Indécis, j’ai fait des études de médecine. Je ne savais pas quoi faire. C’était la guerre. Il n’y avait pas de médecins. On s’est faits sur le tas. Il fallait six ans d’études avant de devenir médecin, avec des examens tous les ans. Je les ai toujours eus facilement. À la Faculté, j’ai eu Haubertin, le père, comme professeur. J’ai assisté à l’un des premiers cours du professeur Carle sur l’infarctus du myocarde. À cette époque-là, on venait de découvrir de quoi il s’agissait. Je me rappelle ce qu’avait dit Carle : « Une douleur qui tue. » Une douleur d’une telle intensité que le malade ne la supportait pas et mourrait. On avait la morphine qu’on faisait sous-cutanée. Moi je l’ai fait très vite en intraveineuse pour mieux soulager.
Je n’ai pas passé l’internat. J’ai fait mon externat à l’hôpital Saint-André de Bordeaux puis à l’hôpital militaire Robert Piquet. J’ai vu des gars arriver dans des états atroces. Je me souviens d’un jeune de dix-huit ans qui est arrivé sans jambes. Il a fallu l’appareiller sans opération. J’en ai vu un avec les jambes criblées d’obus […] L’externe était chargé d’observer le patient et le professeur contrôlait nos observations. Je n’ai jamais regretté d’avoir choisi médecine, au contraire. (René Picot)

Fête organisée par les anciens élèves de lʼécole Gambetta pour les 75 ans dʼYves Caps en 1975. En bas au centre, avec les lunettes : Yves Caps.


Je suis d’abord allé à l’école maternelle Saint-Maurice, rue Marcel Sembat, à Bègles, qui était tenue par Madame Roy, une amie de Madame Delaunay, la mère de Michèle Delaunay. Puis je suis allé à l’école Gambetta où j’ai passé mon certificat d’études. Ensuite, j’ai fait l’école pratique de commerce et d’industrie à Bordeaux. Il fallait être bon élève pour y aller. Je devais devenir mécanicien mais au bout de deux ans, mon père m’a dit qu’il y avait un concours à Sud-Ouest et que je pouvais m’y présenter. J’avais seize ans environ. Nous étions une quinzaine à passer ce concours et j’ai été l’un des trois reçus en 1946. (Louis Delmas)







Je suis devenue institutrice à dix-huit ans, en 1937. J’ai enseigné quelques années dans la Somme, dans les Basses-Pyrénées, puis à l’école Gambetta de Bègles à partir de 1955. C’était une grosse école : il y avait huit classes, huit enseignants et le directeur. Le directeur n’enseignait pas, il était déchargé en totalité. C’était une école de garçons, l’école des filles se trouvait à Emile Combes, là où se trouve actuellement le collège. Il y avait également une école maternelle, l’école Boileau, située place de la Liberté.
Il y avait environ trente enfants par classe, sauf dans la mienne. J’étais chargée de la classe de perfectionnement qui accueillait des débiles mentaux, débiles légers ayant la possibilité de lire et écrire sans inconvénients, et moyens, avec des difficultés. Par la force des choses, on nous envoyait aussi des débiles profonds, qui avaient un quotient intellectuel extrêmement bas, car on ne savait pas où les mettre, ils gênaient partout. Il y en avait toujours un ou deux dans ma classe. Je n’avais pas plus de dix-huit élèves. Les classes de perfectionnement commençaient tout juste dans les années cinquante. Je faisais partie des premiers enseignants spécialisés dans l’enfance inadaptée puisque ça a commencé en 1944. Mes élèves venaient des classes de l’école Gambetta qui accueillait des enfants de tout le quartier de la mairie, de la place de la Liberté jusqu’à la Poste. La plupart des enfants de ma classe étaient issus de milieux ouvriers, de sécheurs de morues par exemple. Une fois, j’ai eu le fils d’un pharmacien. Je prenais les enfants signalés par leur maître comme ayant des difficultés et leur faisais passer des tests pour savoir s’ils étaient débiles légers, moyens ou profonds. Il y avait peu d’agressivité. J’étais face à ces enfants et je devais me faire aimer. Parce que la clé, c’était se faire aimer. J’avais un diplôme spécial pour m’occuper des enfants handicapés, obtenu à Paris en 1944.
L’école se faisait sur un rythme trois et deux : lundi, mardi, mercredi et vendredi, samedi. L’école avait lieu toute la journée, sauf peut-être le samedi après-midi. Mes collègues avaient des programmes. Moi, dans la classe de perfectionnement, je faisais les programmes suivant les cas, le mieux possible, avec des manuels ordinaires.
J’ai eu le bonheur de tomber sur un directeur, Monsieur Lestable, que j’avais connu comme maître de stage à Jurançon, alors que j’étais beaucoup plus jeune et monitrice de colonies de vacances. Il me considérait un peu comme sa fille car il n’avait pas d’enfant.
J’ai enseigné à l’école Gambetta pendant une dizaine d’années puis j’ai été secrétaire nationale de l’enfance inadaptée à Bordeaux, chargée de créer et de tenir le fichier départemental. C’était une création de poste, vers 1965, et comme j’avais de l’ancienneté, j’ai eu ce poste sans problème. J’en avais un peu marre de traîner mes bottes à Bègles.
De 1955 à 1975, l’enseignement aux enfants inadaptés a évolué. Une formation a été mise en place à l’École Normale de la Gironde, située à château Bourran, sur la commune de Mérignac. Étant donné mon ancienneté dans la fonction, je suis devenue professeur à l’École Normale. Nous étions alors deux instituteurs, Henri Paillé et moi, à enseigner la pédagogie adaptée aux enfants en difficulté : pédagogie pratique et travaux manuels. Il y avait des théoriciens qui y enseignaient et il y avait mon collègue et moi, capables d’enseigner des activités à la portée des enfants inadaptés, des techniques toutes simples et valorisantes, comme la céramique ou la peinture sur soie. J’ai pris ma retraite en 1975. (Madeleine Pinaud)

Madeleine Pinaud, enseignante en classe de perfectionnement à lʼécole Gambetta de Bègles de 1955 à 1965 environ. Elle a ensuite été secrétaire départementale pour lʼenfance inadaptée à Bordeaux, puis formatrice à lʼEcole Normale de la Gironde.



Lʼécole Gambetta (école de garçons), rue Léon Gambetta, au début du XXe siècle. Aujourdʼhui, lʼécole primaire Gambetta occupe toujours ces locaux.







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