J’ai
travaillé peu de temps à la verrerie Domec, vers la gare Saint-Jean. Je devais
porter le verre à l’arche avec une longue tige qu’on enfilait dans de grands
fours. Il ne fallait pas que le verre se colle sinon on nous enguirlandait.
Puis on l’emmenait à une machine pour le couper et il ne fallait surtout pas
que ça dépasse. Il faisait très chaud. On était payés à la tâche.
Puis
j’ai travaillé la morue aux Pêcheries et sécheries d’Aquitaine,
226 rue des Quatre Castéra. Nous étions logés à côté de l’usine. Mon beau-père,
mon beau-frère puis mon mari en ont été les contremaîtres. La construction du
logement pour la famille, c’était la condition qu’avait mise mon beau-frère
pour qu’on reste dans cette sécherie. À côté de notre usine, il y avait Salier
et Boyer-Joubert. Nous étions nombreux dans l’usine, hommes et femmes.
Les
bateaux de morues arrivaient à Bassens : il y avait l’Anita, le Bassilour, le Commandant Pleven… J’y suis allée
quelquefois, ce sont des souvenirs émouvants. Quand les bateaux partaient, les
femmes des marins chantaient. Les camions allaient charger la morue à Bassens
et la ramenait dans les sécheries. Devant la porte de la sécherie, nous avions
une grue. Un ouvrier se mettait à la grue et un autre sur les plateaux de
morues pour les crocheter. Mon mari transportait les caisses de morues dans le
frigo avec un chariot élévateur. Il fallait ensuite trier les morues dans le
frigo par catégorie, petites, moyennes, moyennes-petites, grandes et grosses.
On se caillait au frigo. Ensuite il fallait les laver. Une personne se mettait
devant et les attrapait, une autre les lavait et une troisième les mettait sur
un plateau pour les amener au séchage. On ne vidait pas les morues, ça se
faisait sur le bateau. Il y avait ensuite plusieurs façons de travailler la
morue, en fonction de leur catégorie : certaines étaient trempées, d’autres
étaient séchées.
Une
partie des morues était mise dans des bassins de bisulfite, ce qui les faisait
gonfler. On vous vendait l’eau au prix du poisson. Surtout ne croyez pas que la
morue blanche c’est de la bonne morue, la blanche, quand vous appuyez
dessus, il y a de l’eau qui sort, pas la jaune. Elle est trempée dans du
bisulfite. C’est la jaune, la vraie morue. Quand j’allais à Leclerc, je disais aux gens : « Ne prenez pas celle-là, elle n’est
pas bonne. » Je faisais attention à ce que les poissonniers ne me
regardent pas. Puis on les conditionnait par catégorie dans des caisses.
Les
autres morues étaient séchées à l’air libre ou bien sur des wagons. À l’extérieur, ils avaient planté des
piquets verticaux avec des barres transversales, les pendilles, et il fallait
qu’on enfonce les queues dans des fentes. On les mettait droites, par deux, et
il fallait régulièrement les tourner en fonction du soleil pour qu’elles ne
brûlent pas. Elles devaient sécher sans cramer. Si elles chauffaient trop,
elles se collaient et ça enlevait la peau. On pouvait aussi les sécher à
l’intérieur sur des wagons. Les wagons circulaient sur des rails avec de
grosses roues. À l’intérieur, il y avait des chariots sur lesquels étaient
posées les morues, chariots qui passaient dans un tunnel où soufflait de l’air
chaud. Mon mari se levait parfois la nuit pour aller les tourner. Il s’est tué
à la morue lui aussi, il était courageux. Le temps de séchage dépendait de la
catégorie.
Une
fois qu’elles étaient sèches, on les pesait et on les mettait dans des caisses
en plastique blanches dans lesquelles on ajoutait du sel, fermées avec un
couvercle et du scotch.
Je
faisais les filets. On était payés aux pièces. Parfois mon mari mettait un peu
plus que le poids.
C’était
dur la vie à cette époque-là : on touchait le sel, le bisulfite, la glace.
Le plus dur dans ce métier c’était le froid. Il y avait les frigos mais il y
avait aussi le congélateur. Nous portions des gants en peau. Il fallait les
payer, on payait tout. Nos bottes, on se les prenait un peu grandes pour
pouvoir mettre des feutres à l’intérieur. Nous avions aussi de grands tabliers.
Il y avait toujours du travail, on ne se reposait pas, sauf pendant les
vacances. On commençait le travail vers sept ou huit heures, en fonction des
commandes et du travail qu’il y avait à faire. On s’arrêtait pour déjeuner, on
allait manger chez nous. On s’organisait un peu comme on voulait. Plus on travaillait,
plus on gagnait. Ma mère, elle aussi était morutière la pauvre. Elle ne s’est
pas rendu compte qu’une arête pourrissait dans son doigt et il a fallu
l’amputer de deux doigts. Elle a fini sa vie à Cadillac. Souvent, nous avions
les doigts gercés. On avait une bouteille de gaz pour se chauffer les pieds.
Il y a
des gens qui venaient directement chez nous pour acheter la morue. Pour Noël,
on travaillait beaucoup avec les Portugais. « Bacalao », c’est comme ça qu’ils appelaient la morue. Et ils
savaient bien choisir les filets. Aux Capucins,
c’est Garcia qui nous prenait des morues. On allait lui porter avec un camion. (Renée Castre)
« Pêcheries et sécheries dʼAquitaine » dans la première moitié du XXe siècle. Le séchage des morues à lʼair libre sur les pendilles. |
Chargement dʼun tunnel de séchage de la morue salée à Bègles en 1977. (Cliché : Fonds iconographique régional Pierre Bardou) |
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